Les homónoiai de Dion de Pruse et d'Aelius Aristide : un moyen pour se protéger de Rome ?
Léo Devaud  1@  
1 : Université Toulouse - Jean Jaurès
Plh-Erasme

 

Si l'on en croit le récit de Thucydide dans la Guerre du Péloponnèse le terme homónoia, que l'on peut traduire imparfaitement par concorde, naquit au cours de la stásis athénienne de 411. Peu après, le vocable fit florès dans l'Athènes de la sortie de guerre du Péloponnèse et du IVe siècle : on le retrouve dans les discours judiciaires, dans les écrits philosophiques et, surtout, dans les écrits d'Isocrate qui s'en sert pour justifier une union hellénique contre la Perse ou encore faire valoir une concorde civique. De façon paradoxale, lors de sa genèse, l'homónoia n'a rien d'irénique et porte la trace indélébile d'une société en tension. L'homónoia ne cesse pas d'être utilisée après la période classique, on la retrouve, par exemple, dans ce que nous appelons la Septante et dans les écrits des communautés chrétiennes des premiers siècles de notre ère. L'enjeu de notre communication est d'étudier les changements structurels que le terme homónoia semble connaître dans le contexte de l'Asie Mineure du Ie et du IIe siècles de l'ère chrétienne, notamment sous l'impulsion de Dion de Pruse (40 apr. J.-C. - ≈ 110) et l'apport d'Aelius Aristide (117 - 180). En effet, cette période et cet espace géographique sont le théâtre de nombreuses disputes civiques et de tensions entre les cités offrant une resémantisation au terme qui nous étudions. L'homónoia que l'on trouve dans le corpus de nos deux auteurs est le symbole d'une période au cours de laquelle les cités des provinces d'Anatolie s'affrontent pour s'attirer les bonnes grâces de Rome, avec l'obtention par exemple du titre de néocore, et se querellent pour des questions territoriales, voire économiques. Certains passages de Dion et d'Aelius Aristide sont également des marqueurs de tensions civiques, notamment à cause de gabegies pour le Pruséen. Pour traiter ce sujet, deux œuvres de circonstances retiennentnotre attention. Tout d'abord, le Discours politique tenu à l'assemblée que Dion a tenu à Pruse, probablement en 105, dans lequel l'orateur cherche à oeuvre à la réconciliation des Pruséens, devant une foule couroucée par les malversations des fonds publics et une élite divisée concernant la volonté dionéenne d'aménagement publicEnsuite, le discours Sur la concorde qu'Aelius Aristide a prononcé en janvier 167 à Pergame devant le koinon de la province d'Asie, à travers lequel l'orateur, de ce que l'on nomme la Seconde Sophistique, tente d'apaiser les querelles de titulature qui empoissonnent les relations entre les cités d'Ephèse, Pergame et Smyrne. Ces œuvres s'insèrent dans le contexte dans lequel les cités divisées et les cités en conflit prennent le risque d'irriter une Rome soucieuse de maintenir la pax romana, et, donc, de voir leurs libertés s'amoindrir. Dans cette atmosphère particulière, peut-on voir la trace d'une resémantisation de l'homónoia, comme un moyen utilisé pour se protéger de Rome, dont se sert Dion de Pruse et Aelius Aristide pour faire sourdre dans l'esprit de leurs auditeurs la vanité de leurs luttes fratricides, face au courroux de Rome ? Ou doit-on voir dans l'homónoia un terme de rhétorique politique employé pour servir ses intérêts ? Voici tout l'enjeu de notre communication qui, par le biais de comparaisons, tend à montrer la vivacité de l'homónoia dans l'Anatolie des Ie et IIe siècles de l'ère chrétienne.

 

Bibliographie indicative

 

Amato Eugenio, Traiani praeceptor : studi su biografia, cronologia e fortuna di Dione Crisostomo, Besançon, Pr. Universitaires de Franche-Comté, 2014.

 

Bianco Elisabetta, « Reciprocità e concordia nell'orazione XXIII di Elio Aristide », Aevum : Rassegna di Scienze Storiche, Linguistiche e Filologiche, 83.1, (2009), p. 89-100.

 

Jones Christopher P., The Roman world of Dio Chrysostom, Cambridge (Mass.), Harvard University Pr., 1978.

 

Romilly Jacqueline de, « Vocabulaire et propagande, ou les premiers emplois du mot ὁμόνοια », dans Irigoin Jean, Laroche Emmanuel, Romilly Jacqueline de, Mélanges de linguistique et de philologie grecques offerts à Pierre Chantraine, Paris, Klincksieck, 1972, p. 199-209.


Personnes connectées : 1 Vie privée
Chargement...